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Le Blog de Voltaire

Les hommes sont-ils égaux ?

Ceux qui disent que tous les hommes sont égaux disent la plus grande vérité, s’ils entendent que tous les hommes ont un droit égal à la liberté, à la propriété de leurs biens, à la protection des lois. Ils se tromperaient beaucoup s’ils croyaient que les hommes doivent être égaux par les emplois, puisqu’ils ne le sont point par leurs talents.

Dans cette inégalité nécessaire entre les conditions, il n’y a jamais eu, ni chez les anciens ni dans les neuf parties de la terre habitable, rien de semblable à l’établissement de la noblesse dans la dixième partie, qui est notre Europe.

Tous les hommes seraient nécessairement égaux, s’ils étaient sans besoins ; la misère attachée à notre espèce subordonne un homme à un autre homme : ce n’est pas l’inégalité qui est un malheur réel, c’est la dépendance. Il importe fort peu que tel homme s’appelle sa hautesse, tel autre sa sainteté ; mais il est dur de servir l’un ou l’autre.
Il est impossible dans notre malheureux globe que les hommes vivant en société ne soient pas divisés en deux classes : l’une, de riches qui commandent ; l’autre, de pauvres qui servent ; et ces deux se subdivisent en mille, et ces mille ont encore des nuances différentes.

Tous les pauvres ne sont pas malheureux. La plupart sont nés dans cet état, et le travail continuel les empêche de trop sentir leur situation ; mais quand ils la sentent, alors on voit des guerres, comme celle du parti populaire contre le parti du Sénat à Rome, celles des paysans en Allemagne, en Angleterre, en France. Toutes ces guerres finissent tôt ou tard par l’asservis- sement du peuple, parce que les puissants ont l’argent, et que l’argent est maître de tout dans un Etat : je dis dans un Etat, car il n’en est pas de même de nation à nation. La nation qui se servira le mieux du fer subju- guera toujours celle qui aura plus d’or et moins de cou- rage.
Tout homme naît avec un penchant assez violent pour la domination, la richesse et les plaisirs, et avec beaucoup de goût pour la paresse ; par conséquent tout homme voudrait avoir l’argent et les femmes ou les filles des autres, être leur maître, les assujettir à tous ses caprices, et ne rien faire, ou du moins ne faire que des choses très agréables. Vous voyez bien qu’avec ces belles dispositions il est aussi impossible que les hommes soient égaux qu’il est impossible que deux prédicateurs ou deux professeurs de théologie ne soient pas jaloux l’un de l’autre.

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