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Le Blog de Voltaire

Être libre, n’avoir que des égaux, est la vraie vie

Je vous avouerai que je m’accommoderais assez d’un gouvernement démocratique. Je trouve que le philosophe Lycurgue avait tort, qui disait à un partisan d’un gouvernement populaire : « Commence par l’essayer dans ta maison, tu t’en repentiras bien vite. »

Avec sa permission, une maison et une ville sont deux choses fort différentes. Ma maison est à moi ; mes enfants sont à moi ; mes domestiques, quand je les paye, sont à moi ; mais de quel droit mes concitoyens m’appartiendraient-ils ? Tous ceux qui ont des possessions dans le même territoire ont droit également au maintien de l’ordre dans ce territoire. J’aime à voir des hommes libres faire eux-mêmes les lois sous lesquelles ils vivent, comme ils ont fait leurs habitations. C’est un plaisir pour moi que mon maçon, mon charpentier, mon forgeron, qui m’ont aidé à bâtir mon logement, mon voisin l’agriculteur, et mon ami le manufacturier, s’élèvent tous au-dessus de leur métier, et connaissent mieux l’intérêt public que le plus insolent chiaoux de Turquie. Aucun laboureur, aucun artisan, dans une démocratie, n’a la vexation et le mépris à redouter ; aucun n’est dans le cas de ce chapelier qui présentait sa requête à un duc et pair pour être payé de ses fournitures : « Est-ce que vous n’avez rien reçu, mon ami, sur votre partie ? – Je vous demande pardon, monseigneur ; j’ai reçu un soufflet de monseigneur votre intendant. »
Il est bien doux de n’être point exposé à être traîné dans un cachot pour n’avoir pu payer à un homme qu’on ne connaît pas un impôt dont on ignore la valeur et la cause, et jusqu’à l’existence.
Être libre, n’avoir que des égaux, est la vraie vie, la vie naturelle de l’homme ; toute autre est un indigne artifice, une mauvaise comédie, où l’un joue le person- nage de maître, l’autre d’esclave, celui-là de parasite, et cet autre d’entremetteur. Vous m’avouerez que les hommes ne peuvent être descendus de l’état naturel que par lâcheté et par bêtise.

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