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Le Blog de Voltaire

Le seul fruit des chrétiens dans leurs barbares croisades fut d’exterminer d’autres chrétiens

Tous les premiers historiens des croisades semblent mordus des mêmes tarentules que les croisés. Il semble, à les entendre, qu’on rendait un service important à Dieu en abandonnant la culture des terres les plus fertiles de l’Occident, en portant son or et son argent dans un pays aride, en visitant les saints lieux sur un cheval de charrette, avec sa maîtresse en croupe, et en se faisant tuer par des Turcs et des Sarrasins, à dix-huit cents lieues de sa patrie.

De droit, on n’en avait aucun. Quelle fut donc l’origine de cette fureur épidémique qui dura deux cents années, et qui fut toujours signalée par toutes les cruautés, toutes les perfidies, toutes les débauches, toute la démence dont la nature humaine est capable ?
Le premier qui imagina d’armer l’Occident contre l’Orient, sous prétexte d’aider les pèlerins et de délivrer les saints lieux, fut ce pape Grégoire VII, ce moine si audacieux, cet homme si fourbe à la fois et si fanatique, si chimérique et si dangereux, cet ennemi de tous les rois, qui établit sa chaire de saint Pierre sur des trônes renversés. On voit par ses lettres qu’il s’était proposé de publier une croisade contre les Turcs ; mais cette croisade devait nécessairement être dirigée contre l’empire chrétien de Constantinople. On ne pouvait rétablir l’Eglise latine en Asie que sur les ruines de la grecque, sa rivale éternelle ; et on ne pouvait écraser cette Eglise qu’en prenant Constantinople.
En un mot, le but de cette croisade était si bien de se saisir de l’empire grec que les croisés s’en emparèrent en 1204, et en furent les maîtres pendant environ cinquante ans.
Les croisés, qui avaient alors le prétexte de ven- ger leurs créatures1, profitèrent des séditions qui désolaient la ville pour la ravager. Ils y entrèrent presque sans résistance ; et, ayant tué tout ce qui se présenta, ils s’abandonnèrent à tous les excès de la fureur et de l’avarice. Nicétas assure que le seul butin des seigneurs de France fut évalué deux cent mille livres d’argent en poids. Les églises furent pillées, et, ce qui marque assez le caractère de la nation, qui n’a jamais changé, les Français dansèrent avec des femmes dans le sanctuaire de l’église de Sainte-Sophie, tandis qu’une des prostituées qui suivaient l’armée de Baudouin chantait des chansons de sa profes- sion dans la chaire patriarcale. Les Grecs avaient souvent prié la sainte Vierge en assassinant leurs princes ; les Français buvaient, chantaient, caressaient des filles dans la cathédrale en la pillant : chaque nation a son caractère.
Ce fut pour la première fois que la ville de Constan- tinople fut prise et saccagée par des étrangers, et elle le fut par des chrétiens qui avaient fait vœu de ne com- battre que les infidèles.
Ainsi le seul fruit des chrétiens dans leurs barbares croisades fut d’exterminer d’autres chrétiens.

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