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Le Blog de Voltaire

Il n’y a nulle comparaison à faire entre les crimes des grands, qui sont toujours ambitieux, et les crimes du peuple, qui ne veut jamais que la liberté et l’égalité

Il n’y a d’ordinaire nulle comparaison à faire entre les crimes des grands, qui sont toujours ambitieux, et les crimes du peuple, qui ne veut jamais, et qui ne peut vouloir que la liberté et l’égalité. Ces deux sentiments liberté et égalité ne conduisent point droit à la calomnie, à l’assassinat, à l’empoisonnement, à la dévastation des terres de ses voisins, etc. ; mais la grandeur ambitieuse et la rage du pouvoir précipitent dans tous ces crimes en tous temps et en tous lieux.

Le filoutage, le larcin, le vol, étant d’ordinaire les crimes des pauvres, et les lois ayant été faites par les riches, ne croyez-vous pas que tous les gouvernements qui sont entre les mains des riches doivent commencer par essayer de détruire la mendicité, au lieu de guetter les occasions de la livrer aux bourreaux ?
Dans les royaumes florissants on a publié des édits, des ordonnances, des arrêts, pour rendre cette multi- tude effroyable de gueux qui déshonorent la nature humaine utile à elle-même et à l’Etat.
Mais il y a si loin d’un édit à l’exécution que le projet le plus sage a été le plus vain. Ainsi ces grands Etats sont toujours une pépinière de voleurs de toute espèce.
On y pend des petits larrons, comme on sait : le vol domestique est puni et non empêché par la potence.
On a vu pendre dans une ville très riche, il n’y a pas longtemps, une fille de dix-huit ans d’une rare beauté. Quel était son crime ? Elle avait pris dix-huit serviettes à une cabaretière, sa maîtresse, qui ne lui payait point ses gages.
Toute la canaille qui court à ces spectacles, comme au sermon, parce qu’on y entre sans payer, fondait en larmes ; et aucun n’aurait osé délivrer la victime, quoique tous eussent volontiers lapidé la barbare qui la faisait périr.
Quel est l’effet de cette loi inhumaine qui met ainsi dans la balance une vie précieuse contre dix-huit ser- viettes ? C’est de multiplier les vols. Car quel est le maître de maison qui osera abjurer tout sentiment d’honneur et de pitié au point de livrer son domestique coupable d’un tort si petit pour être pendu à sa porte ? On se contente de le chasser : il va voler ailleurs, et il devient souvent un brigand meurtrier. C’est la loi qui l’a rendu tel ; c’est elle qui est coupable de tous ses crimes.

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